Le jugement a été prononcé ce 1er mars par le tribunal de première instance du Luxembourg, division d’Arlon.

Le tribunal ne remarque aucune faute dans la gestion de la Présidence du Conseil communal du 30 novembre 2015. 

Il a pourtant recherché par trois voies si la Bourgmestre a commis une faute et, à chaque fois, il conclut qu’elle n’en a pas commis.

  1. Le tribunal rejette d’abord les accusations de calomnie, de diffamation et d’injure en constatant que « force est de constater à la lecture des faits imputés par madame BIORDI aux parties demanderesses, dans le contexte où ils ont été présentés, ne sont pas de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de monsieur MOROSINI et de madame CRUCITTI (élément matériel) et n’impliquent pas la nécessaire intention méchante (élément moral). »

Il met en évidence le contexte politique particulier (« Il s’agit du dernier acte d’une crise de confiance au sein d’un collège communal, crise majeure encore amplifiée par les médias. Le Conseil communal est amené le 30 novembre 2015 à se prononcer sur une motion de méfiance à l’égard du Collège et sur un nouveau pacte de majorité communale ; »), le Tribunal souligne que « Il apparaît normal dans ces circonstances exceptionnelles qu’un bourgmestre expose devant le Conseil ses griefs à l’égard des échevins dont il souhaite, en définitive, le remplacement. Les conseillers communaux doivent être éclairés sur les critiques professionnelles échangées entre parties. Le climat politique tendu en ces circonstances justifie également des propos plus virulents, voire polémiques. » et que « En l’espèce, il apparait que seuls des faits professionnels tels que le blocage d’une décision du conseil et la rédaction imprudente d’un cahier des charges avec tentative (vaine) de le compléter sans respecter les formes, ont été épinglés par la bourgmestre. Aucun fait ne touche à la vie privée des parties demanderesses. Les termes utilisés par la bourgmestre sont certes très durs à l’égard des anciens échevins, devenus adversaires politiques, mais n’ont rien d’excessifs, d’intolérables et d’attentatoires à l’intégrité morale des échevins au regard du contexte politique et du débat contradictoire inhérent aux séances d’un Conseil communal ».

Il ajoute : « Pour le dire autrement et en s’en tenant au sentiment général engendré par les propos litigieux de madame BIORDI, il est douteux que ceux-ci, même amplifiés par la presse, nuisent d’une quelconque façon à la carrière politique des échevins ni que des électeurs retirent leur voix à ces deux mandataires publics à raison des faits qu’elle leur a imputés. »

Et le tribunal conclut : « les imputations exposées dans une enceinte politique au cours d’un débat contradictoire et liées strictement aux aptitudes professionnelles et aux activités publiques des parties demanderesses, ne sont pas de nature à porter atteinte à l’honneur de celles-ci ni à les exposer au mépris de leurs concitoyens. »

Le tribunal souligne également que la Présidente de séance n’avait aucune intention méchante en tenant ces propos : « Par ailleurs, l’intention méchante n’est pas établie. Les imputations ont été faites au moment d’un vote de méfiance crucial qui nécessitait d’éclairer les conseillers appelés à voter. Les personnes mises en cause ont pu nécessairement répliquer au cours des débats. A bon escient la défenderesse observe que les anciens échevins, dont le demandeur, ont, dès avant le conseil communal du 30 novembre 2015, imputé à madame BIORDI des faits sans doute outranciers et exagérés en reprochant à la bourgmestre, à la fois des méthodes staliniennes et une inaction coupable. » .

2. Le tribunal donne ensuite raison à Mme le Bourgmestre en constatant qu’elle n’avait pas à prononcer le huis clos. Le tribunal souligne ici à propos de la possibilité de huis clos pour des questions de personne que « S’agissant d’une exception au principe de publicité, elle doit s’interpréter restrictivement. A cet égard tout débat en conseil communal porte nécessairement sur l’action du collège et donc sur l’activité publique des échevins. Sous peine de faire du huis-clos la règle de fonctionnement du conseil, on ne peut raisonnablement prétendre que pareil débat, où le bourgmestre et les échevins exposent nommément leurs actions et projets, soient des questions de personnes, d’où le public doit être écarté. A fortiori, un débat sur une motion de défiance où sont débattus les décisions du collège « sortant » et, par la force des choses, les faits et réalisations des anciens échevins, et le programme de la nouvelle majorité et des échevins mis en place, n’est pas un débat portant sur des questions de personnes mais doit être ouvert au public. Autrement dit, même si des membres des collèges, ancien et nouveau, sont pris à partie ou mis en cause pour leur action publique passée ou à venir, il ne s’agit pas de « question de personnes » au sens de l’article L1122-21 précité mais bien des questions d’action publique qui doivent être débattues publiquement. »

3. Enfin, le tribunal constate que Mme la Présidente n’a pas commis d’erreur de conduite et que, dans la situation où elle se trouvait, elle n’aurait pas pu agir autrement : « (…)madame BIORDI, en imputant les faits litigieux aux parties demanderesses, n’a pas agi méchamment mais a cru de son devoir de bourgmestre, – dans le contexte politique donné, et après avoir elle-même dû entendre ou lire des propos outranciers des anciens échevins – , d’informer les conseillers sur les motifs du revirement de majorité (perte de confiance, manquements précis du collège). D’autre part, la défenderesse s’est limitée à exposer des griefs, certes sévères et peu agréables à l’oreille, voire virulents, mais concernant exclusivement des faits professionnels et l’activité publique des échevins, sans référence à la vie privée, sans insinuation moqueuse et sans outrance. Enfin les personnes mises en cause ont pu répliquer au cours du débat démocratique. On ne peut dès lors soutenir que la défenderesse a violé la norme de bon comportement que l’on peut attendre d’une bourgmestre placée dans les mêmes conditions de devoir expliquer et défendre une motion de défiance. »

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les motifs juridiques … 

La motion de méfiance est examinée par le Conseil communal en séance publique (Art. L1123-14 du Code de la démocratie locale)

Les faits

Le 30 novembre 2015, 16 membres du Conseil Communal d’Aubange adoptent une motion de méfiance constructive collective. Cette procédure, prévue par l’article 1123-14 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, aboutit au remplacement de cinq échevins désignés par le Conseil à la suite des élections de 2012. Pour motiver le recours à la motion de méfiance, Mme Biordi, en sa qualité de bourgmestre, expose deux exemples de faits qu’elle qualifie de « manquements à la législation ». Le premier a trait au marché de rénovation urbaine, alors que le second est relatif à la redevance d’occupation temporaire de la voie publique.

Les accusations

Suite à leur remplacement, deux échevins appartenant à l’ancienne majorité portent plainte contre Mme Biordi et l’un des deux affirme, premièrement, que la bourgmestre leur aurait reproché d’avoir commis des « infractions ». Pourtant, comme le prouvent les enregistrements de la séance du Conseil diffusés par TVLux le 1er décembre 2015, celle-ci emploie le terme de « manquement » et non d’infraction.

http://www.tvlux.be/video/info/politique/aubange-les-nouveaux-echevins-ont-prete-serment_20406_344.html

Ce mot est d’ailleurs utilisé dans les travaux préparatoires du décret comme justification possible de l’utilisation du mécanisme de motion de méfiance[1].

L’article L1123-14 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation est sans équivoque à ce sujet, la motion de méfiance est examinée par le Conseil communal en séance publique. Prononcer le huis clos aurait dès lors constitué une faute au regard de l’article évoqué.

Deuxièmement, l’ancien échevin critique le caractère public. Selon lui, Mme Biordi aurait dû présenter les faits en huis clos. Deux principes de droit s’opposent à cette requête.

D’une part, la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme[2] et par l’article 19 de la Constitution[3].

Cette liberté d’expression est renforcée pour les membres du Conseil Communal qui bénéficient d’une conception étendue de la loi comme en atteste les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme : « Précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts. Partant, des ingérences dans la liberté d’expression d’un parlementaire de l’opposition, tel le requérant, commandent à la Cour de se livrer à un contrôle des plus stricts ». Elle ajoute « que des propos tenus lors du Conseil Communal ont été prononcés dans une instance pour le moins comparable au parlement pour ce qui est de l’intérêt que présente, pour la société, la protection de la liberté d’expression des participants. Dans une démocratie, le parlement ou des organes comparables sont des tribunes indispensables au débat politique. Une ingérence dans la liberté d’expression exercée dans le cadre de ces organes ne saurait donc se justifier que par des motifs impérieux »[4].

De plus, la Cour européenne des droits de l’homme a insisté notamment sur le degré de tolérance dont doivent faire preuves les représentants politiques : « La liberté de la presse fournit à l’opinion publique l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants. Plus généralement, le libre jeu du débat politique se trouve au cœur même de la notion de société démocratique qui domine la Convention tout entière. Partant, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance »[5].

D’autre part, le principe de publicité des séances des Conseils Communaux qui est consacré par la Constitution[6]. Effectivement, la finalité poursuivie par les congressistes en 1831 était celle de la transparence sur la gestion de la chose publique.

L’article L1122-20 du Code de la démocratie locale précise d’ailleurs que « Les séances du conseil communal sont publiques ».

Deux exceptions, en dérogation du principe de base de la publicité, sont prévues et justifieraient le recours à une séance à huis clos :

  • « Le conseil communal, statuant à la majorité des deux tiers des membres présents, peut, dans l’intérêt de l’ordre public et en raison des inconvénients graves qui résulteraient de la publicité, décider que la séance ne sera pas publique » (article L1122-20, alinéa 2 du CDLD et NLC, art. 93, al. 2).
  • « La séance du conseil communal n’est pas publique lorsqu’il s’agit de questions de personnes. Dès qu’une question de ce genre est soulevée, le président prononce immédiatement le huis clos » (article L1122-21 du CLDL et article 94 de la NLC).

La notion de « question de personnes » devait-elle être prise en compte ? L’interprétation du Conseil d’Etat est la suivante : « ces dispositions ne sauraient s’appliquer à la discussion des opinions politiques ou des actes des membres du conseil accomplis dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions »[7]. Le huis clos n’est donc prononcé que lorsque les faits concernent des personnes extérieures au Conseil communal et lorsqu’il est question de la vie privée des élus. Cette interprétation a d’ailleurs été confirmée par une réponse de l’ancien Ministre des pouvoirs locaux, Paul Furlan, à une question parlementaire[8].

Enfin, quatrièmement, le demandeur soutient que la bourgmestre aurait enfreint les articles 443 et 444 du Code pénal qui visent les infractions de calomnie et de diffamation ainsi que la publicité qui y est donnée. Cependant, l’ancien échevin reste en défaut de démontrer que les propos réellement tenus par Mme Biordi étaient de nature à porter atteinte à son honneur ou à l’exposer au mépris public, et de démontrer une intention de nuire. En effet, Mme Biordi n’avait d’autre but que d’informer le public.

De plus, l’ancien échevin ne démontre pas en quoi Mme Biordi aurait porté atteinte à son droit à l’image, à son droit à la vie privée ou au droit à la vie professionnelle. C’est lui-même qui a donné un retentissement médiatique à sa personne et aux faits qui lui étaient reprochés.

Il faut souligner que, suite à une plainte déposée par les requérants, le Procureur n’a pas souhaité poursuivre les faits, ce qui souligne quelque part les faiblesses de la plainte.

[1] Voy. L’Exposé du ministre Philippe Courard (Projet de décret modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation , C.R.I.,  Parl. w., 2005-2006, 30 novembre 2005, p. 81) :  « La motion de méfiance, on en a beaucoup parlé, est instaurée dans l’optique d’un approfondissement de la démocratie locale pour permettre aux conseils communal et provincial de remplacer un ou plusieurs membres du collège communal ou provincial sur la base de manquements avérés – il n’est évidemment pas question de dire: «Je n’aime plus ta tête, je te remplace. », qui n’auraient plus la confiance d’une majorité d’élus, puisque c’est une majorité d’élus – j’aime à le rappeler aussi – qui prendra cette décision. Ce n’est pas la volonté unilatérale du bourgmestre, ni du collège ».

[2] « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…) 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

[3] « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés ».

[4] Cour eur. D.H., 23 avril 1992, Castells c. Espagne.

[5] Cour eur. D.H., 8 juillet 1986, Lingens c. Autriche, § 42.

[6] L’article 162 de la Constitution dispose que : « Les institutions provinciales et communales sont réglées par la loi. La loi consacre l’application des principes suivants : (…) 4° la publicité des séances des conseils provinciaux et communaux dans les limites établies par la loi ; (…)».

[7] C.E., 1er décembre 1966, n° 12.085, R.A.C.E., 1966, p. 946.

[8] Voy. Réponse de M. Furlan à Mme V. Salvi du 16 novembre 2011 : https://www.parlement-wallonie.be/content/print.php?print=interp-questions-voir.php&id_doc=37063&type=all